LE BERBERE EN FRANCE

 

Les données quantitatives

Confondus dans l'ensemble de l'immigration maghrébine, les berbérophones font par-tie, dans la catégorisation courante, de la population dite "arabe" ou maghrébine. Le critère de la nationalité tend à accentuer cette indistinction puisque les berbérophones sont d'abord décomptés comme Algériens, Marocains, voire Tunisiens et... Français. Rappelons aussi que les recensements de la population en France ne s'intéressent pas à la langue mater-nelle des enquêtés. Tout essai de quantification de la berbérophonie en France ne peut donc être qu'approximatif.

Ce qui est sûr, c'est que l'immigration maghrébine vers la France (et l'Europe) a d'abord été berbérophone, aussi bien à partir de l'Algérie que du Maroc : les foyers d'émigra-tion les plus anciens sont la Kabylie (dès le début du 20e siècle) et le Sous (après 1945). Ces régions ont été rejointes par d'autres zones berbérophones à date plus récente : les Aurès pour l'Algérie, le Rif et la province Orientale pour le Maroc.

Au total, on peut raisonnablement penser que le nombre de berbérophones en France doit se situer en 1,5 et 2 Millions de personnes, composés pour 2/3 de berbérophones d'ori-gine algérienne et pour 1/3 de berbérophones d'origine marocaine. Sur cette population, une nette majorité est de nationalité française et cette proportion ira en augmentant avec le temps par l’effet mécanique de l’intégration.

 

Une présence culturelle et scientifique forte

Les données démographiques précédentes suffiraient à elles seules à expliquer la forte présence de la langue berbère en France ; d’autres facteurs historiques, idéologiques et institutionnels méritent également d’être rappelés.

D’une part, la présence longue et conséquente d’une population berbérophone a fait que la France est, depuis longtemps, un pôle important de la vie culturelle berbère, tout particulièrement kabyle : depuis les années 1930 au moins, Paris est un des haut lieux de la chanson kabyle ; la France a été le lieu de naissance du disque, de la cassettes, du disque compact et du livre kabyles ; elle demeure un passage quasi obligé pour tous les créateurs et artistes kabyles.

D’autre part, la situation d'exclusion de la langue et de la culture berbères qui a long-temps prévalu en Afrique du Nord a eu pour conséquence, surtout en Algérie, le déplace-ment massif de l'activité berbérisante vers la France et Paris. Depuis 1962, la majeure partie de la production de/sur la langue berbère a été réalisée en France. Cette "délocalisation" a touché bien sûr les activités militantes berbères, culturelles et politiques, mais aussi la pro-duction et la formation scientifiques et même une très large part de la production culturelle.

L’Université et la Recherche françaises n’ont pas été de reste. Les chaires de ber-bère ont disparu en 1956 à l’Institut des Hautes Etudes Marocaines (Rabat) et en 1962 à l’Université d’Alger ; le résultat est qu’un nombre considérable – près d’une centaine – de thèses de doctorat concernant le berbère ont été soutenues en France, surtout à Pa-ris, mais également en province (Aix, Toulouse, Montpellier, Nancy...). Actuellement, malgré une internationalisation sensible, la France conserve une position hégémonique dans les Etudes berbères, tant dans la formation universitaire que dans la production scientifique.

 

Une confirmation nette : le berbère au BAC

Le berbère a toujours figuré sur la liste des (nombreuses) langues donnant lieu à épreuve facultative orale. En 1978 et 1979, pour les trois académies d'Ile de France, 30 et 40 candidats ont subi cette épreuve. En 1987, leur nombre était de 544 et, à partir de 1992, il dépassait le cap du millier ! A l'échelle nationale, le berbère était la langue la plus deman-dée pour cet oral facultatif, après les langues régionales de France.

Depuis la session 1995 du Baccalauréat, les épreuves facultatives de langues "rares" sont passées à l’écrit. L’INALCO a, par convention, la responsabilité de l’élaboration des sujets et de la correction des copies. Pour l’instant, trois dialectes sont proposés aux candidats : le kabyle, le tachelhit et le rifain. La première session de 1995 a été une véritable surprise puisque, contrairement à toutes les prévisions qui tablaient sur un effondrement des effectifs, ce sont 1534 candidats qui ont subi l’épreuve, dans toutes les académies de France métropolitaine (avec une écrasante majorité pour la région parisienne et, par ordre d’importance, Aix-Marseille, Lille, Lyon, St. Etienne). Depuis 1995, le nombre de candidats en berbère est progressivement passé de 1500 à 2250 (session 2004 du Bac) pour toute la France.

Trois sujets sont proposés à chaque session, correspondant aux variétés régionales du berbère les plus représentées en France : kabyle (Algérie), chleuh (Sud du Maroc), rifain (Nord du Maroc). Les premières années, la demande était majoritairement kabyle (70 %) ; à partir de 1998, les proportions respectives se sont progressivement modifiées au bénéfice des dialectes marocains dont l’ensemble représente désormais environ 65% des copies (en 2004 : chleuh = 40%, rifain = 25%, kabyle = 35%)

Ces données quantitatives sont particulièrement intéressantes au plan sociolinguistique car elles manifestent un fort attachement des jeunes berbérophones de France à leur langue ; on peut même parler d’adhésion militante puisque les difficultés inhérentes à l’écrit, auxquelles l’écrasante majorité d’entre eux ne sont pas préparés dans le cadre scolaire, ne les ont pas dissuadés.

Elles confirment ainsi que le berbère est bien une langue de France.

 

S. Chaker

Pour plus d’informations sur le berbère en France, voir : Le berebère en france

Berbère en Europe